Follow us
          Directory  Contact   

HR.square - 'Le bâtiment n’est plus vu comme un mal nécessaire mais comme un levier pour aller de l’avant'

Enkel beschikbaar in het Frans

Les entreprises sont en quête frénétique de nouvelles solutions pour faire de leurs espaces bureaux un levier de leur stratégie organisationnelle globale, en ligne avec les nouvelles manières de travailler. Pour cela, elles peuvent compter sur les conseils de Claire Bonnaventure. Architecte et stratégiste du Workplace, l’experte nous
explique pourquoi (et comment) l’avenir du workplace peut encore s’écrire au coeur même des entreprises.

TEXTE FERNAND LETIST

La révolution des espaces de travail est une belle et… bonne aventure. Ce n’est pas Claire Bonnaventure qui nous démentira. Spécialiste en Workplace Strategy, la jeune femme conseille et accompagne les organisations (ING, Proximus, Le Forem…) ou des
promoteurs-développeurs (tel Atenor) dans la définition de leur vision, stratégie et objectifs avant de les traduire en projet architectural adapté aux New Ways of Working. Trois fois par an, elle propose aussi à l’ULB une Masterclass sur l’aspect holistique de la conception d’espaces et l’initiation au développement de projets en équipe. Une formation suivie par beaucoup de RH et de pros du « bâtiment ». La spécialiste se réjouit de la révolution des espaces de travail : « On vit un vrai momentum ! »

L’espace de travail se décline désormais selon trois environnements : l’entreprise, le domicile et/ou un tiers-lieu. Qu’en pensez-vous ?

Claire Bonnaventure - Je pense… que vous en oubliez un : la mobilité. Celle-ci, en train, transport en commun ou voiture, est devenue un lieu en soi. Quand je réfléchis à une salle de réunion pour une entreprise, il faut savoir qui devra pouvoir se brancher sur la réunion depuis sa voiture, à pied avec son téléphone, assis dans un train ou chez lui avec son laptop… Cela conditionne un tout-technologique cohérent à intégrer à l’environnement de travail. Où qu’ils soient, tous les employés doivent être sur pied d’égalité. Espace et technologie, concret et virtuel fusionnent.

C’est une bonne chose ?
C.B. - Oui. On est aujourd’hui plus proche de la réalité de la vie humaine bien moins catégorisée que dans une conception binaire et normée du travail. Les solutions deviennent de plus en plus organiques, dynamiques, mieux connectées à nos besoins et nos vies. Longtemps a prévalu ce souci du présentéisme par déficit de confiance et peur de l’autonomie. Alors que c’est l’aspiration d’un tas de gens actifs. Le Covid a forcé et accéléré les choses, dont l’éclatement spatial du travail. Cela a permis d’ouvrir les cadres, légal et technologique. Ce que j’aime c’est le fait d’oser acter qu’on n’est pas tous les mêmes. On est sorti des routines, du binaire. L’actuelle diversité des concepts et solutions offre tout le panel de choix.

L’employé(e) est désormais en position de force pour qu’on comble ses attentes. Notamment sur le lieu où exercer son travail…

C.B. – Le fait est que je n’ai jamais eu autant de demandes d’aide des entreprises qui veulent se rendre plus attractives via les lieux et solutions de travail à imaginer et proposer. Mais il y a encore du boulot ! Les vrais changements et innovations concernent seulement
30% des entreprises. 70% restent dans la réserve. Quel est le top 3 des demandes ?

C.B. - Avant Covid, c’était l’aménagement physique, exclusivement. Aujourd’hui, les entreprises viennent directement pour des conseils et solutions de stratégie organisationnelle globale. Du type, voici comment fonctionne ma boîte, faites-y coller
l’aménagement et l’organisation des espaces idéaux. Le bâtiment n’est plus considéré comme un mal nécessaire, un coût, mais comme un levier qui va permettre d’aller de l’avant. Les nouvelles manières de travailler induisent un nouveau type de bâtiment qui aidera l’entreprise à affirmer sa personnalité. Cela relève d’une méthodologie de co-construction de l’espace pour correspondre vraiment à l’ADN de chaque entreprise. A
l’inverse, le pire c’est vouloir partir de l’espace bureaux pour se créer une image à coup de design.

C’est quoi le plus excitant dans votre métier de stratégiste du workplace ?

C.B. - Créer des choses évolutives. On ne prétend pas à une solution définitive. On travaille plutôt par essais-erreurs-corrections. On envisage tout dans l’optique de l’adaptabilité, de la flexibilité, conscient que les besoins peuvent évoluer. Et, finis les open spaces déshumanisés et le flexdesk façon années 80-90 qui anonymisaient le lieu de travail. On cherche au contraire à ce que les gens mettent le plus d’eux-mêmes dans l’espace des entreprises. Les lieux doivent vivre et montrer les valeurs de l’entreprise, des personnes, de l’individu.

Intégrez-vous dans votre réflexion l’environnement de travail des personnes qui travaillent physiquement ailleurs ? A domicile ou en coworking ?

C.B. - La vraie force vient d’un concept coordonné réfléchi sur base de la délocalisation éventuelle de personnel, la part de télétravail, le fonctionnement des bâtiments, le rapport vie pro/vie privé proposé... Cependant, jusqu’à présent les entreprises n’envisagent
que sous forme d’indemnités leur investissement dans la dimension travail à distance d’une partie de leurs collaborateurs plutôt que comme un vrai volet du projet global. L’environnement de travail dit beaucoup de l’entreprise et de ses valeurs, contrairement aux espaces à domicile ou en coworking. J’estime pour ma part que les solutions de coworking ne sont ni adaptées à la culture spécifique d’une entreprise, ni convaincantes
car, soit très standardisées et basiques façon open space déshumanisé. Soit, avec une patte très marquée qui ne laisse que peu de marge à l’entreprise hébergée et ses
employés-coworkers pour affirmer une identité. Je ne considère pas le coworking comme levier de changement et d’attractivité. Les seuls tiers-lieux qui vaillent sont ceux sur lesquels l’entreprise peut avoir la main.

A quelle sorte de tiers-lieu pensez-vous ?

C.B. - PWC au Luxembourg. Pour contourner un écueil fiscal doublé d’un problème de mobilité, la société a développé, en marge de son siège, des écosystèmes de travail très maîtrisés et intéressants. L’entreprise emploie beaucoup de transfrontaliers. Mais si 
ceux-ci travaillent trop à domicile, ils perdent leurs avantages fiscaux luxembourgeois. D’où l’obligation de prester au Luxembourg. Pour éviter à ce personnel de se rendre au siège central, les entreprises luxembourgeoises sont en train de créer des HUB collés aux frontières avec la Belgique, la France, l’Allemagne. Ce ne sont pas des mini-répliques du siège mais tout autre chose. Dans le cas de PWC, le Hub de Mondorf (station thermale) est un espace hors-cadre et propose une expérience totalement différente et originale. Ce pourrait être un coworking, mais seuls y ont accès les employés de PWC. Vous me
direz que cela accroit le risque de césure avec l’entreprise et sa culture. Et bien non. Au contraire, cela renforce et enrichit celle-ci. L’idée est de proposer un service de qualité qui vienne compléter et améliorer la vie de l’employé.

Que sentez-vous d’autre à travers les demandes des employeurs ?

C.B. – Une vraie prise de conscience de leur besoin d’espaces d’activités de travail collectives. Définir ceux-ci implique d’analyser avec méthode les activités de l’ensemble du personnel et d’en déduire les proportions de réunions, de moments collaboratifs, de plages « téléphone », de plages de concentration, etc, à prévoir… Après le covid, tout le monde a pris
conscience de cette aberration que quasi tous les bâtiments des entreprises sont pensés et répartis selon 90% de bureaux individuels et 10% de salles de réunion. Alors que ce devrait
être du 50%-50%. Il faut donc plus de salles de réunion classiques, d’espaces de brainstorming, de repos et autres espaces de plus en plus spécialisés.

Que recommandez-vous alors aux sociétés ?

C.B. - Cela dépend bien entendu du secteur d'activité des organisations, mais je dirais qu'en moyenne 50% d’espaces collectifs très variés et dédicacés à des activités différentes avec capacité de moduler. Cette prise de conscience de la bonne proportion 50/50 pourrait conduire à réaugmenter très fortement les surfaces… si on persiste à vouloir donner un
bureau à chacun ! Alors que les tâches individuelles ne nécessitent que 50% de l’espace et qu’aujourd’hui les entreprises sont à maximum 60% d’occupation de leur espace bureaux. Ce qui signifie des bureaux individuels sous-occupés en permanence. Donc, pour éviter de faire exploser les surfaces allouées au bureau individuel, il faut partager ces postes de travail-là aussi. Ce qui reste un point épineux au niveau des mentalités. Mais la crise énergétique rend aussi ce changement radical indispensable. Chauffer des espaces vides est devenu impensable.

L’importance des différences individuelles a-t-elle joué un rôle majeur dans l’émergence de nouveaux concepts liés aux lieux de travail ?

C.B.- Incontestablement. Il est établi que pour faire un métier il faut réaliser plusieurs tâches différentes. Donc, un bureau, un seul espace pour tout bien faire, c’est compliqué. On est
maintenant à l’étape suivante, celle de la neurodiversité. Chacun a des habitudes différentes. Certain(e)s ont besoin de silence absolu, d’autres de bruit, d’autres de faire 5 pauses rapprochées, d’autres de boire, manger, travailler debout ou assis. D’où l’importance de disposer d’espaces très diversifiés pour accueillir toutes les personnes différentes et tous les moments de travail différents selon le concept d’Activity Based Working.

Cela repose sur l’attente psychologique des employés ?

C.B. - Oui. C’est pourquoi la méthodologie pour faire adhérer au projet est super importante. Notamment, la manière d’envisager l’appropriation d’espace. Tant qu’on pense que l’humain
doit s’approprier son propre bureau, le partage de postes de travail est impossible. Ce qui enferme dans une logique chère et stérile du chacun son bureau (mais sous-occupé). Il
faut donc trouver d’autres moyens pour permettre aux gens de s’approprier les espaces de travail. Il y a l’appropriation des outils virtuels. Il y a l’appropriation de l’espace physique, que
ce soit en mettant des photos personnelles ou en investissant les murs des espaces communs. Par exemple, chez Hub Brussels, chaque fois que des collègues arrivent habillés pareils, ils font une photo. Ils en ont tapissé un mur complet.

Quelle est aujourd’hui la surface standard d’un poste de travail ?

C.B. - Avec les nouveaux modes de travail, les normes ont augmenté. Pour garantir confort et ergonomie, on est passé d’un poste de travail de 8 m2 en open space à, en Activity
Based Working, un poste de travail et des espaces additionnels en partage par 12 m2. Contrairement à l’idée reçue, passer aux NWoW ne va pas dans le sens de diminuer les surfaces. Au contraire.

Quels sont les clichés sur le télétravail, le coworking ou les NWoW à absolument atomiser?

C.B. - Le premier est que l’open space serait synonyme de NWoW et d’Activity Based Working. Le deuxième est de dire que les gens adorent le télétravail car cela leur permet
de se concentrer. Cela traduit surtout l’échec de l’entreprise et d’espace de travail très mal pensé. Après covid, beaucoup d’entreprises ont remis tout le monde ensemble n’importe
comment, concentré en un espace alliant tous les désagréments ou interférences empêchant de bien travailler. Dans ce contexte, pas étonnant que la seule solution pour se concentrer est de se replier chez soi. Si c’est ça la raison, le télétravail est un échec. Autre marqueur d’échec lié à un espace de travail mal pensé : le nombre d’employés avec leur casque audio vissé en permanence sur la tête. Cet isolement sonore est le signe d’une absence de réflexion sur la cohabitation de différentes activités et le symptôme
d’une pathologie de l’espace.

Quelles sont les règles impératives que vous suivez dans l’élaboration d’un projet ?

C.B.- C’est d’avoir les 4 B: Bricks, Bytes, Behaviour et Business Process. L’important est d’avoir cette vision holistique des projets. Si on ne se focalise que sur une facette, c’est voué à l’échec. Le projet sera toujours bancal. En termes de coût, le vrai enjeu est de chiffrer
les bonnes choses. Comme, le coût du turnover d’une entreprise qui a un espace qui rend les gens malades. Comme, le fait que créer un espace très flexible va permettre de mutualiser toutes les salles de réunion, utilisable par tous mais à différentes fins. En mutualisant fortement les espaces, on diminue la surface et donc, les couts. Mais cela va augmenter l’investissement en outils et équipements digitaux pour rendre l’espace polyvalent et à géométrie variable… C’est un calcul dans lequel il faut intégrer tous les paramètres. L’économie obtenue par une gestion plus intelligente des espaces doit selon moi être réinvestie dans les outils digitaux. Le digital ne signifie pas qu’on va tous passer dans le Metavers. Au contraire ! Ma théorie est que le digital nous a permis de nous affranchir de l’espace, de quitter le bureau mais le digital va nous permettre aujourd’hui
de revenir au bureau. La gestion d’agendas devenus plus mouvants et dynamiques par les outils digitaux est la seule façon de remettre les gens enfin ensemble.

Comment ressentez-vous les services RH par rapport au projet que vous élaborez ?

C.B.- Ce sont surtout eux qui poussent aux changements. Ils sont moteurs, avec une vraie conscience de la nécessité d’un travail multidisciplinaire mêlant toutes les compétences. L’immobilier devient la mise en oeuvre d’une vision RH. Il faudrait former des équipes agrégeant Facility, RH et IT pour fusionner des compétences car il faut affronter des choses de plus en plus complexes.

D’autres solutions sont-elles en gestation ?

C.B.- Celle qui me semble la plus nécessaire, peine à s’amorcer. C’est d’arriver à ce que des entreprises mutualisent des espaces, créent des écosystèmes de travail commun. Pour diminuer leurs coûts et leurs risques. Les sociétés réduisant de plus en plus leur surface, l’espace libre dans leurs bâtiments est de plus en plus grand. Je sens que des employés aspirent à ce type d’espaces communs mais dès qu’il s’agit de mettre plusieurs occupants
d’entreprises différentes ensemble, les sociétés craignent que ces espaces partagés n’engendrent un cout supplémentaire de copropriété et de gestion. Au niveau des contrats de bail, c’est aussi hyper compliqué. A ce stade, le cadre légal ne favorise en rien ces formules d’espaces communs. Alors que cela serait plus économique et créateur de lien entre entreprises et employés. Cette offre intermédiaire cross-corporate est une solution d’avenir pour utiliser au mieux les espaces bureaux comme leviers organisationnels. T

Téléchargez l'article 

https://hrsquare.be/fr/

https://www.linkedin.com/company/reseau-hr-square

 

12 juin, 2023
Partager ce poste
Archiver